Cet article vise à présenter les spécificités d’un marketing associatif qui, loin d’être un gros mot, peut être mis réellement au service du développement des associations.
Parler de marketing dans le secteur associatif suscite immédiatement deux grands questionnements.
Celui de la légitimité tout d’abord : le marketing, né dans les entreprises commercialisant des produits de grande consommation (d’où la référence constante aux lessives et aux savonnettes). Est-il légitime à s’intéresser à des organisations fort différentes dans leurs finalités et dans leurs modes de fonctionnement ?
Derrière la question de la légitimité apparaît une seconde interrogation portant sur les spécificités associatives. En effet, prôner la légitimité (et même l’intérêt !) d’une discipline pour un secteur ne signifie pas pour autant nier l’identité particulière de ce secteur.
Les entreprises trouvent leur raison d’être dans la vente de produits et services dont des acheteurs reconnaissent la valeur en les acquérant pour un prix donné ; les entrepreneurs, les actionnaires, voire les salariés, bénéficiant des profits éventuellement dégagés. Au contraire, la mission sociale est première dans le cas des associations qui n’ont pas pour finalité de dégager du profit et de le répartir.
Beaucoup d’associations sont nées avec la volonté de transformer l’environnement dans lequel elles se situent, dans le sens de la mission qu’elles se sont fixées. La définition d’une mission précise est dès lors à considérer comme une priorité et comme un préalable indispensable. Le marketing est appelé à se mettre au service d’une « mission ».
Nous pouvons nous référer à l’étude conduite en 2013 par Viviane Tchernonog recensant 1,3 million d’associations en activité en France. Il se crée près de 70 000 nouvelles associations par an. Autant de structures qui sont, en quelque sorte, en concurrence les unes avec les autres. Le secteur associatif est en outre concurrencé par des entreprises privées, notamment dans le cadre d’appels à projets qui ne peuvent être réservés aux seules associations.
C’est dans ce contexte concurrentiel que l’on peut parler de marketing. En effet, le marketing apparaît dans des situations difficiles, lorsque l’offre est supérieure à la demande. Ce fut le cas à l’occasion de la crise de 1929 aux États-Unis. En France, c’est à la fin de la période dite des « 30 glorieuses », dans les années 70, que le marketing commence à être enseigné dans les écoles de commerce. Même si le mot de concurrents est souvent mal perçu dans le milieu associatif qui préfère ceux de confrères ou de partenaires, il décrit une réalité de plus en plus prégnante.
Le marketing suppose la possibilité d’un choix réciproque entre « l’offreur » et le « demandeur ». C’est pourquoi, on ne peut guère parler de marketing politique dans le cadre d’un régime totalitaire ou de marketing des causes sociales si tout est défini par la loi (par exemple, le cas de la limitation des naissances en Chine).
Le marketing s’est développé dans les associations car le choix (et donc la concurrence) est de plus en plus large : choix des bénévoles potentiels pour sélectionner leur terrain d’engagement, choix des donateurs potentiels, choix des subventionneurs, choix des mécènes… Si le choix n’existait pas, on pourrait parler de persuasion, de conviction ou de communication mais sans doute pas de marketing.
Si on définit le marketing comme la manière pour une entreprise de concevoir des produits adaptés aux besoins de ses clients, on ne peut certes pas parler de marketing des associations ! Étymologiquement, marketing vient de mercatus qui signifie le lieu d’échange. Cet échange est marchand pour les entreprises, mais il peut aussi être social et symbolique comme c’est le cas clans de nombreuses associations (l’accompagnement de personnes en difficulté, la relation avec un bénévole…).
Le marketing consiste non pas à vouloir servir un marché (d’où le mythe du client-roi qu’il faut servir en satisfaisant ses besoins) mais à s’intéresser aux conditions de l’échange entre une organisation (par exemple une association) et les différentes entités avec lesquelles elle est en relation (par exemple des adhérents, des donateurs, des subventionneurs). Pour être mis au service des associations, le marketing doit donc s’appuyer sur une définition élargie, à savoir : « permettre à une organisation de mieux piloter les échanges avec ses différentes parties prenantes dans une situation de concurrence au service des objectifs et de sa mission. »
Cette définition élargie caractérise bien le fait que vouloir mettre le marketing au service d’autres formes d’organisations que l’entreprise ne vise pas à vouloir imposer partout une logique de marché, dans une perspective économique libérale ! Bien au contraire, le marketing doit être un outil au service des valeurs et du projet associatif. Une politique marketing (allant de l’offre à la communication) ne peut se déployer efficacement dans les associations qu’en s’appuyant sur une formulation précise, et partagée en interne, de la mission.
Si le marketing des entreprises utilise des techniques de plus en plus compliquées et sophistiquées, le marketing des associations est, contrairement à ce que l’on peut penser, souvent plus complexe. La raison fondamentale de cette complexité provient du nombre et de la diversité des parties prenantes concernées.
Contrairement à une entreprise qui tire ses revenus de ses clients, une association doit souvent faire une distinction entre les « bénéficiaires » auxquels elle procure des biens ou des services et les « donateurs » desquels elle tire ses ressources. En effet, les personnes qui bénéficient des offres des organisations à but non lucratif le font souvent gratuitement ou avec des réductions conséquentes.
Illustrons ce point clé avec quelques exemples :
• Le bénéficiaire de l’action d’une association du secteur sanitaire et social (un handicapé, un chômeur en processus de réinsertion… ) ne finance généralement pas la totalité des services qu’il reçoit. C’est un subventionneur (en l’occurrence l’État, un conseil départemental, une caisse de sécurité sociale…) qui donne à l’association la plus grande partie des moyens d’accomplir sa mission.
• Une association humanitaire sera financée par des aides publiques (venant de l’État ou de l’Europe) et par des donateurs privés, non par les personnes qu’elle soutient au quotidien.
• Une association culturelle ne pourra généralement pas équilibrer son budget seulement avec les entrées de ses spectacles. Elle aura besoin de subventions publiques et/ou de l’apport de mécènes.
Cet enjeu peut être caractérisé par des données économiques précises : les financements publics de tous types (subventions, prestations, prix de journée…) représentent en moyenne plus de 50 % des ressources des associations en France, alors que les recettes d’activités privées ne pèsent que moins d’un tiers. Le reste est constitué par les cotisations des membres (environ 11 %) et par les dons des particuliers et des entreprises (environ 4 %). C’est pourquoi, le thème du fundraising est sans doute un de ceux qui focalisent le plus l’attention des dirigeants associatifs souhaitant trouver des financements privés (donateurs individuels ou entreprises) en complément des subventions publiques.
La distinction entre les bénéficiaires et les financeurs des associations n’est pas encore suffisante pour décrire la complexité du contexte associatif. De par leur objet même, les associations se trouvent souvent profondément insérées dans la Cité, dans la vie sociale, et sont ainsi amenées à côtoyer et à travailler avec de nombreux organismes ou individus.
On appelle réseau relationnel l’ensemble des interlocuteurs extérieurs d’une association qui ne sont ni ses bénéficiaires ni ses financeurs, mais qui peuvent jouer un rôle dans son développement et dans l’accomplissement de sa mission.
Un exemple concret, celui d’une radio chrétienne associative, permet d’illustrer ce qu’est un réseau relationnel. Il existe aujourd’hui plus de 80 radios chrétiennes en France qui ont comme bénéficiaires leurs auditeurs, et comme financeurs les Églises, des donateurs ainsi que l’État (via le fonds de soutien à l’expression radiophonique qui soutient financièrement des radios associatives dont les recettes commerciales représentent moins de 20 % de leur chiffre d’affaires total). Mais le développement d’une radio chrétienne dépend aussi de sa capacité à être présente et active dans un réseau relationnel regroupant des parties prenantes nombreuses et variées : paroisses et autres communautés chrétiennes, différents mouvements et services diocésains, responsables d’autres religions, d’autres médias, d’autres radios associatives et d’autres associations pour des partenariats, collectivités locales, autorités publiques, monde social et culturel, etc.
Un des enjeux du marketing des associations consiste à gérer au mieux ce réseau de relations complexes.
À la base même de la loi de 1901, il y a les hommes et les femmes et leur volonté de s’associer librement. Les associations possèdent, par rapport aux entreprises, une richesse supplémentaire qui représente aussi une complexité supplémentaire : les parties prenantes internes sont majoritairement constituées de bénévoles et non de salariés (sans compter un troisième statut, plus récent, celui de volontaire associatif). Près de 85 % des associations françaises n’emploient ainsi aucun salarié et ne fonctionnent qu’avec des bénévoles.
La France compte environ 16 millions de bénévoles dont 6 millions de bénévoles réguliers ; parmi ceux-ci, 50 % sont retraités. Si le bénévolat a progressé en France ces dernières années, le nombre de bénévoles réguliers est lui en baisse au profit de bénévoles que l’on peut qualifier de « post-it » s’engageant sur des projets ponctuels et changeant fréquemment d’associations et de terrain d’expression.
Un des enjeux majeurs du marketing est donc d’aider les associations à recruter, mobiliser et fidéliser des bénévoles sur un « marché » de plus en plus concurrentiel.
Ils ont des noms différents selon les associations : on les appelle adhérents, membres, licenciés… Généralement, selon les statuts, ils ont voix délibérative à l’Assemblée Générale et peuvent se présenter aux élections pour devenir administrateurs, membres du bureau, et même président. Ils sont donc a priori les réels acteurs de la démocratie associative. Le mot d’adhérent est fort. Il sous-entend que l’on adhère au projet et à la mission de l’association, que l’on en soit porteur. Par conséquent, l’adhérent est évidemment une partie prenante interne majeure pour une association.
Pourtant, dans la pratique, on constate souvent des comportements bien éloignés de cette conception. De nombreux dirigeants associatifs déplorent ainsi le manque d’engagement réel des adhérents qui se caractérise, par exemple, par un taux de participation très faible aux Assemblées Générales, par la difficulté à trouver des candidats pour une fonction élective, par un état d’esprit d’usager plus que d’acteur. Par exemple, être licencié d’un club de tennis serait surtout l’occasion de pouvoir pratiquer son sport à moindre coût, être adhérent d’une association culturelle serait le moyen d’accéder à des visites et à des loisirs à des tarifs avantageux, être membre d’une association de parents d’élèves donnerait l’opportunité d’être informé sur la vie de l’établissement scolaire et la situation de son enfant… La dimension collective serait ainsi oubliée au profit d’avantages personnels. Les adhérents deviendraient presque des clients qu’il faudrait convaincre et séduire et non des acteurs du projet associatif. Cette ubiquité du statut d’adhérent constitue aujourd’hui un des nœuds de la vie associative et un des enjeux majeurs du marketing dans ce secteur.
Cette illustration permet de synthétiser les apports de cette partie en proposant une représentation de la démarche du marketing associatif. Au cœur de ce schéma figurent la mission et le projet associatif que le marketing est appelé à servir et à valoriser auprès de différentes catégories de parties prenantes. Il s’agit bien sûr à la fois des parties prenantes actuelles (celles avec lesquelles l’association est déjà en relation) et des parties prenantes potentielles (celles avec lesquelles l’association veut entrer en relation) : les bénéficiaires, les financeurs (subventionneurs, donateurs individuels et institutionnels), le réseau relationnel (les autres parties prenantes externes), l’interne (bénévoles et salariés), les membres adhérents.
Ces différentes catégories ne sont certes pas totalement étanches. On peut ainsi être adhérent et bénévole, bénévole et donateur, membre et bénéficiaire. Mais ces distinctions sont essentielles pour cerner les différentes facettes des publics visés, leurs différents « rôles ».
Les entreprises trouvent leur raison d’être dans la vente de produits et services dont des Une union nationale d’associations rencontre une difficulté supplémentaire dans la définition et la mise en œuvre d’une politique marketing : comment concilier l’indispensable vision marketing d’ensemble au niveau national et la situation particulière de chaque structure locale sur son territoire ? Aucune solution extrême ne peut être envisagée : imposer sans discussion des décisions marketing nationales conduirait à démobiliser les acteurs locaux. Au contraire, laisser chaque structure locale totalement indépendante dans ses choix marketing amènerait à un manque de cohérence dommageable. Mais, alors, comment concilier marketing national et marketing local ?
Il s’agit en fait d’élaborer un marketing que nous qualifions de « glocal » en apprenant à gérer une dialectique global/local. Le cas de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) est une bonne illustration de ce marketing « glocal ». L’UNAF s’est lancée depuis plus d’un an dans une démarche de développement associatif visant notamment à augmenter le nombre de ses associations familiales adhérentes et le nombre de familles qu’elles représentent (aujourd’hui environ 600 000). L’approche méthodologique qui a été retenue combine des impulsions nationales dans le cadre d’un comité national de développement associatif (CNDA) et des initiatives locales dans le cadre de plans locaux de développement associatif (PLDA) élaborés par les unions départementales (UDAF).
Plusieurs facteurs prêchent pour une dose importante d’adaptation locale. La situation concurrentielle n’est généralement pas la même d’un territoire géographique à l’autre et nécessite par conséquent des réponses adaptées. Des partenaires locaux aux niveaux sociaux, économiques et politiques, expriment des attentes conduisant à concevoir et à conduire des actions marketing différenciées sur un territoire d’implantation donné. Cette conception suppose d’accepter une certaine autonomie des structures locales. Il s’agit en fait d’allouer du pouvoir (les auteurs anglo-saxons parlent « d’empowerment ») au niveau local dans un esprit de « marketing interne » où le niveau national se met au service du local en lui apportant des outils pour l’aider dans son développement. Ainsi, l’UNAF s’appuie sur des référents développement associatif (un binôme bénévole-salarié dans chaque UDAF) qui se réunissent une à deux fois par an et bénéficient de formations et de méthodes afin de pouvoir élaborer leur plan local de développement associatif.
Ne voyez plus dans l’expression « marketing associatif » un oxymore mais une source d’enrichissement : le marketing pour les associations, dans le plein respect de leurs valeurs, est une démarche utile au service du développement d’une association ou d’une union d’associations.
Article tiré du numéro 112/113 de « Réalités familiales », la revue de l’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF).
Cet article prolonge et actualise une précédente publication plus académique : MAYAUX F., 2012, Le marketing des organisations de l’économie sociale et solidaire in « Management des entreprises de l’économie sociale et solidaire, identités plurielles et spécificités », BAYLE E. et DUPUIS J.C. (eds), De Boeck, collection Méthodes & Recherches.